"Malines n’a pas de souci à se faire. Mes joueurs ne joueront pas comme des lions"
Entre le 5 et 12 mars 2018, la direction de Malines et Dejan Veljkovic ont cherché à arranger le match Malines-Waasland Beveren. Sept jours qui ont changé la face du football belge et l’ont plongé en plein scandale.
C’est LE match au centre du scandale du Footbelgate. Malines-Waasland-Beveren. Dimanche 11 mars dans l’après-midi. Ce jour-là, malgré une victoire 2-0, Malines descendait en D1B, le deuxième échelon de notre compétition. Dans un scénario fou, suspect aux yeux de certains, Eupen, qui inscrivait quatre buts dans les 17 dernières minutes, battait Mouscron et se sauvait à la différence de buts. Depuis lors, les insinuations malinoises vis-à-vis d’Eupen ont laissé la place à des écoutes téléphoniques révélant la tentative de corruption des Sang et Or envers Waasland-Beveren. L’arroseur arrosé en quelque sorte.
Le Soir a retracé la dernière semaine de vie du FC Malinois. Toutes les tractations secrètes, les manipulations et les coups de téléphone, avec comme seul but de s’assurer un avenir en D1A, révèlent des dirigeants aux abois et un milieu dans lequel personne ne semble s’offusquer de la corruption qui se profile, comme si celle-ci constituait la norme. Avec comme acteurs principaux
les agents Dejan Veljkovic et Walter Mortelmans, l’homme fort du FC Malinois, Olivier Somers, le directeur sportif, Stefaan Vanroy et le directeur financier du Kavé, Thierry Steemans, le président de Waasland-Beveren, Dirk Huyck et le directeur financier du club waeslandien, Olivier Swolfs, tous inculpés dans ce dossier.
« Je ne vois pas comment je pourrais aider sans courir de risques » (Dirk Huyck)
Le lundi 5 mars, Veljkovic a un plan et un agenda chargé. Deux jours plus tôt, Malines s’est incliné 3-2 au Standard, alors qu’Eupen a été battu 2-0 à l’Antwerp sur un penalty discutable (et au centre des discussions aujourd’hui). Les deux équipes sont à égalité de points (24) avec une légère différence de buts en faveur de Malines. Veljkovic avait joint Huyck plusieurs fois au téléphone lors des derniers jours. Durant le week-end, l’agent d’origine serbe et ancien attaquant d’Alost, n’avait pas chômé, activant ses réseaux. A son ami, Uros Jankovic, il avait déclaré vouloir que « tout soit sous contrôle tant avec Mouscron qu’avec Waasland-Beveren ». A certains journalistes, il avait affirmé : « Si Mouscron fait un cadeau à Eupen, on veillera à ce qu’ils aillent ensuite en D2. »
La veille, il avait encore eu au téléphone Thierry Steemans. Le directeur financier du Kavé lui avait demandé le nom des agents de plusieurs joueurs… de Waasland-Beveren, dont Issac Kiese Thelin. « Olivier Somers me dit que Roef est chez Evert Maeschalck », avait ajouté Steemans qui l’avait également interrogé sur l’état de ses relations avec l’entraîneur de Waasland-Beveren, Sven Vermant. Lors de cet échange, Veljkovic avait même dit même qu’il allait proposer à Vincent Mannaert d’appeler Vermant. « Olivier Somers se demandait aussi qui était l’agent de l’entraîneur de Mouscron », lance alors Steemans. « Je le saurai mardi car Allaerts me le dira. J’ai une bonne relation avec lui », avait lâché sur un ton rassurant Veljkovic à Steemans.
Ce lundi 5 mars marque donc le début d’une semaine de négociations. Et cela commence par un rendez-vous avec Dirk Huyck. A l’issue de cette rencontre, le président de Waasland-Beveren confie que l’agent lui a proposé de l’argent. « Tout le monde fonctionne comme ça dans le monde du foot », aurait lâché Veljkovic. Huyck refuse : « Je veux bien aider mais je ne vois pas comment je pourrais le faire sans courir de risques comme président et comme homme », reconna plus tard à Olivier Swolfs qui lui demande si Veljkovic a évoqué un montant. « Ils ont donné des indications », dit-il évasivement.
Ce n’est que le début du plan d’attaque malinois. Veljkovic poursuit. Il essaye, via Sébastien Delferière, de savoir qui seront les vidéos-referees à Eupen et Malines. Autant, il s’attelle à mettre tout le monde de son côté à Waasland-Beveren, autant il craint comme la peste que l’autre rencontre (Eupen-Mouscron) soit également truquée. Sa réflexion repose sur les relations nouées par Pini Zahavi, l’homme fort de Mouscron avec la direction qatarie du PSG lors du transfert de Neymar. La veille, il avait d’ailleurs parlé de ses craintes à Peter Maes. « J’ai entendu qu’Eupen avait acheté Mouscron », ce à quoi Maes avait répliqué : « Mais Malines a aussi des liens avec Waasland-Beveren ! »
Il n’est pas le seul à craindre un arrangement. Olivier Somers pense la même chose et l’exprime devant Stefaan Vanroy. « Je me demande ce que Mogi va faire et s’il va donner une prime ? » Le directeur de la cellule sportive malinoise abonde dans le même sens que Somers. « Il a trois joueurs et l’entraîneur. Et Bailly ne jouera pas. »
Quand Allaerts rencontre Veljkovic
Le mardi 6, Veljkovic file à Mouscron pour un rendez-vous avec Paul Allaerts, directeur sportif de l’Excel. Rien ne filtre de la rencontre entre les deux hommes mais à l’issue de celle-ci, Allaerts dit à son entraîneur des gardiens, Eric Deleu, que « les joueurs doivent disputer ce match de manière honnête. Chaque mauvaise passe sera analysée. Personne ne veut que l’on perde 4-0. » Quant à Veljkovic, il joint Steemans pour lui dire que « la cuisine est commandée ». Un code selon les enquêteurs.
De son côté, Huyck est tourmenté. A Evert Maeschalck, il avoue que « quoi qu’on fasse, ça ne sera pas bien. Si on perd, ils diront – regarde ils ont perdu ! Et si on gagne, ils diront – ils ont signé leur propre mort. C’est logique qu’on les aide au niveau des infrastructures mais cela doit toujours rester du sport. » Il rejette la proposition de Swolfs qui veut aligner le jeune Daam Foulon à la place de l’expérimenté Erdin Demir au poste d’arrière gauche. « Ça rentre dans la stratégie de savoir lequel on va utiliser lors des PO2. On se sera ainsi quelque peu déforcé et s’il fait un bon match, on ne pourra pas nous le reprocher », tente de le convaincre Swolfs qui pense même faire jouer Joachim Van Damme, ancien joueur du Kavé. « Il n’aura pas besoin de beaucoup de mots ».
Huyck fait front. Il décide finalement de ne pas dire à ses joueurs de perdre « car il voit que la motivation est envolée. Malines n’a pas de souci à se faire. Ils ne joueront pas comme des lions. J’espère même une petite grippe ou une petite blessure de l’un ou l’autre ».
Si certaines digues résistent, d’autres s’effritent. Le mercredi soir, Olivier Swolfs (Waasland-Beveren) et Thierry Steemans (Malines) se rencontrent au domicile du premier à Brasschaat durant trois heures.
Le jeudi, la tension monte, Steemans le reconnaît à son président, Johan Timmermans, en appelant d’un autre numéro. « Il faut parfois changer de numéro et appeler avec un autre en ce moment car on ne sait jamais. Olivier Swolfs et Paul Allaerts se méfient de leur GSM et Olivier Somers m’a appelé cinq fois mais toujours avec WhatsApp. »
Somers sonde Mannaert pour qu’il motive Rotariu
Pourtant, un grain de sable enraye la mécanique : Sven Vermant ne marche pas dans la combine. « Il n’est pas d’accord », confie Huyck à Swolfs. Il ne veut pas écarter le défenseur Camacho. « Je pense qu’il doit recevoir une enveloppe de l’agent de Camacho », dit même Huyck. Si les dirigeants malinois se reposent sur Veljkovic, ils comptent aussi sur Walter Mortelmans, agent réputé dans le nord du pays et qui possède de nombreux joueurs tant à Malines qu’à Waasland-Beveren. Steemans le contacte et lui demande de joindre Olivier Swolfs mais également les joueurs qu’il représente à Waasland-Beveren. « Je ne préfère pas », lui rétorque Mortelmans. Pourtant, ce dernier est bien intégré dans la combine. « Walter qui a cinq joueurs à Waasland est rentré dans le jeu », lâche d’ailleurs Steemans à son président, Timmermans. Le lendemain, Mortelmans avouera d’ailleurs à Steemans : « J’ai fait le nécessaire de ce que je pouvais. »
L’autre rencontre est également au centre des préoccupations. Malines veut s’assurer que les joueurs de Mouscron se donnent à fond. En cette fin de semaine, Somers contacte Mannaert et lui demande « s’il a eu des nouvelles de Rotariu. » Le joueur roumain est en effet prêté par le Club de Bruges à Mouscron. Plus tard dans la journée, Somers rappelle le directeur général de Bruges qui lui dit : « On a dit à Rotariu qu’on allait suivre son match avec beaucoup d’attention car il doit revenir en principe chez nous la saison prochaine. » Deux jours plus tôt, Olivier Somers avait même pensé à déstabiliser des éléments d’Eupen. « Quels joueurs pourrions-nous avoir à l’œil dans le cadre de la saison prochaine ? On ne peut tout de même pas attirer dix joueurs ! », avait-il lâché à son acolyte Vanroy avant que les deux hommes se mettent d’accord sur deux noms.
Reste la dernière pièce du puzzle. Elle tombe le samedi. Olivier Myny, attaquant de Waasland-Beveren a discuté avec ses agents. Mortelmans prévient directement Steemans : « On lui a parlé et il a compris le message. On lui a dit qu’il y avait de l’intérêt mais seulement si Malines restait en première division. Myny nous a dit qu’il savait ce qu’il devait faire, il avait compris . » Steemans tente une dernière combine : convaincre un autre joueur de l’écurie Mortelmans, Nana Ampomah, de marcher dans la combine. « Ce sera difficile et on ne devrait plus prendre de risque maintenant. » Huyck spécule quant à lui une dernière fois : « Le scénario idéal consisterait à perdre 2-0, ce qui signifie qu’Eupen doit alors gagner 3-0 ou 4-0. On aura alors fait notre job et rien ne pourra être dit. » Ce simulacre de rencontre peut avoir lieu.